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Hôpital 2.0

 

 HopitalSeMetAuMatriciel

L'hôpital se met au matriciel


Par le professeur Jean-Louis Scholtes
Chef de Département, Cliniques Universitaires Saint-Luc



Depuis quelques années, l'organisation de l'hôpital évolue à grands pas. Les raisons qui poussent les institutions hospitalières à changer sont nombreuses. La principale est d'atteindre un niveau de qualité optimale capable de satisfaire les besoins et demandes des patients dans une recherche d'efficience maximale. Insensiblement, au cours des années les équipes médicales ont adapté leur mode de fonctionnement pour rencontrer ces deux exigences. Parallèlement, l'ensemble des professions de la santé a réalisé l'intérêt d'intégrer au maximum les compétences au sein de l'hôpital, qu'elles soient administratives, techniques ou médicales.

Les quelques pages qui suivent n'ont d'autre but que de rapporter l'expérience d'un hôpital académique et d'analyser les difficultés rencontrées dans la recherche de cette transversalité.

Les forces d'évolution de l'hôpital


L'hôpital Saint-Luc est un hôpital académique de 900 lits aigus environ, accueillant toutes les pathologies courantes à l'exception des grands brûlés. L'hôpital est étroitement lié à sa faculté de médecine. Il en accueille les étudiants, les stagiaires et les candidats spécialistes tout au long de leur formation. Une école d'infirmières fait partie de l'ensemble. Une recherche clinique de qualité s'y pratique en partenariat avec les chercheurs des laboratoires de la faculté toute proche. Trente mille patients sont hospitalisés annuellement et près de 350.000 contacts ont lieu en ambulatoire.

En 1982, l'hôpital a été restructuré verticalement en huit départements médicaux et six directions administratives. Les départements médicaux sont organisés selon les spécificités médicales à savoir la médecine interne, la chirurgie, l'urgence et les soins intensifs, la biologie, la pédiatrie, les pathologies spéciales, la médecine dentaire et l'imagerie médicale.

Pendant près de quinze ans, cette structure fut bien adaptée au fonctionnement classique de l'hôpital. Selon Mintzberg (1), l'hôpital peut se définir comme une bureaucratie professionnelle. Il se caractérise par une série de bulles de pouvoir composées par les différents savoirs professionnels juxtaposés. Dans cette structure, les standards sont définis par les pairs et les objectifs sont habituellement déterminés au sein de chaque spécialité médicale selon quelques facteurs parmi lesquels l'offre prime sur la demande. Le service médical va définir ses objectifs en fonction de la compétence et de la renommée de ses spécialistes. Dans une telle organisation hospitalière, la vision du patient est en général éclatée et c'est le patient qui doit s'adapter à la structure plutôt que l'inverse.

Depuis quelques années, l'hôpital Saint-Luc a dû, comme beaucoup d'autres institutions hospitalières, répondre à la poussée de plusieurs forces d'évolution réparties en trois axes: les tendances de la société, les attentes des patients et enfin, les priorités de l'hôpital.

La société actuelle évolue. Les citoyens se sentent de plus en plus membres d'une société "responsable" (cfr mouvance écologique), soucieux de l'héritage à laisser aux générations futures. A contrario, ils souhaitent être davantage considérés à part entière comme des individus uniques, exigeant que leur particularisme soit pris en compte, que ce soit au travail, à l'école, à l'université ou… à l'hôpital. L'individu exige d'être respecté en sa qualité de membre d'une société qui ne peut plus décider sans tenir compte de la sécurité et du bien-être de chacun. Dans cet état d'esprit, les responsables politiques sont constamment montrés du doigt, et, par réaction, ils ont tendance à élaborer un cadre de vie où tout risque est minimisé. N'a-t-on pas vu récemment des maires être tenus pour personnellement responsables d'accidents survenus par exemple dans des écoles ou dans des piscines. Pour se protéger, ils élaborent des systèmes d'accréditation destinés à anticiper au maximum les accusations d'imprévoyance. L'hôpital n'échappe pas à la règle. Il est actuellement soumis à de nombreuses mesures d'agrément, de certification et d'accréditation pour répondre à ce refus sociétal de l'aléa.

Du fait de la mondialisation, des communications intercontinentales et de l'information on line, les populations des pays occidentaux ont pris conscience d'appartenir à une collectivité planétaire et entendent bénéficier de l'ensemble des progrès, notamment médicaux, dès qu'ils sont portés à la connaissance du public. À ce point de vue, il est extrêmement important que les directions des institutions hospitalières comprennent l'urgence de se doter de moyens d'information performants, et d'en faire bénéficier l'ensemble des corps professionnels de leur hôpital.

En miroir de ces demandes de la société contemporaine, les attentes des patients évoluent également vers l'individualisme et une exigence d'une qualité totale. «Guérir vite et sans risque» est le nouveau slogan. Il explique l'engouement actuel des patients pour les salles d'urgence où ils espèrent être pris en charge globalement par un ensemble de spécialistes qui leur fourniront en un temps "record" diagnostic et traitement. Inutile de dire que cette prise en charge est supposée être accompagnée d'une garantie de résultat.

Parallèlement à ces tendances fortes de la société et ces attentes omniprésentes des patients, l'hôpital actuel doit également respecter ses propres priorités, que ce soient celles d'hôpital de proximité ou d'hôpital académique.

Pourquoi la transversalité ?


Quand on décortique les attentes des patients, on se rend rapidement compte que la réponse à ces attentes réside en partie dans l'approche transversale des problèmes. On peut ainsi offrir, en un temps, la compétence de plusieurs spécialistes dont les avis vont s'enrichir les uns les autres, de façon beaucoup plus efficace que par le biais de rapports successifs. La présence simultanée de plusieurs spécialistes rassure les patients.

En fait, le concept de transversalité n'est pas nouveau. Il y a plus de vingt ans que l'hôpital s'est structuré, pour certaines activités, autour de l'interdisciplinarité. Ce concept sous-entend que les divers acteurs agissent dans une unicité de temps et de lieu. Cette organisation dépasse la notion de multidisciplinarité, dans laquelle les différents spécialistes sont le plus souvent sollicités de manière séquentielle et dans leur environnement propre. La transversalité est le concept intégrant de l'interdisciplinarité, qui réellement traverse (ou fait appel de manière concomitante à) plusieurs entités verticales (fonction, division, départements) dans le but d'optimiser les soins, la recherche et l'utilisation des ressources tant matérielles que personnelles.

La coordination des prélèvements pour les transplantations d'organes (dès la fin des années 60 pour le rein) fut véritablement la première activité transversale systématique. Ce mode de fonctionnement s'imposa d'emblée en raison de l'efficience exigée par le processus et de la nécessité de recourir aux services simultanés de plusieurs entités internes (équipe de coordinations en contact avec les familles du donneur et du receveur, chirurgie, néphrologie, immunologie, équipe de prélèvements à l'extérieur) et externes (EUROtransplant, hôpital émergeant le donneur d'organes, loueurs d'avion pour le transport du greffon). Là aussi, ce furent les circonstances environnementales (le délai court exigeant un processus sans faille) qui imposèrent la transversalité.

L'algologie (clinique de la douleur) est un autre exemple frappant. Saint-Luc a son centre d'algologie (rebaptisé récemment "Centre de lutte contre la douleur") depuis 1988, mais le concept est né dès la fin de la deuxième guerre mondiale. En effet, John Bonica, anesthésiste américain accompagnant les troupes américaines sur le sol français, se trouva démuni face aux blessés dont beaucoup souffraient de douleur majeure liée aux lésions nerveuses causées par les blessures par balles. Il consulta ses livres et ne put que constater la carence importante en ce domaine: il n'existait que quelques traités, dont celui de Leriche, chirurgien français qui s'était particulièrement intéressé au domaine de la douleur chronique. Dès son retour aux Etats-Unis, Bonica décida de réunir autour de lui quelques collègues avec lesquels il pouvait partager en temps réel les discussions de diagnostic et d'évaluation de ces patients. Là aussi, les circonstances eurent un effet positif, les médecins militaires entourant J. Bonica disposant, du fait de leur fonction, du temps nécessaire à consacrer à ces activités de groupe. Nous verrons plus loin combien il est important de réserver du temps pour le travail en équipe. Dès 1972, Bonica conçut la première Pain Clinic qu'il installa dans une clinique de Seattle réservée à cette seule activité. C'est à ce travail pionnier en équipe interdisciplinaire que l'on doit les nombreux progrès que nous connaissons actuellement en analgésie.

Au cours des dix dernières années, pas moins de 15 centres se sont développés dans notre institution, tous nés sous la poussée de la demande: soit d'une approche plus efficace de pathologies complexes, soit d'une demande insistante des familles de rencontrer ensemble les différents intervenants d'un même problème, par exemple le centre labiopalatin pour le traitement, le suivi et la réhabilitation des jeunes patients porteurs d'une malformation de la face (fente palatine, bec de lièvre). Ces centres n'ont pu se développer que grâce à l'engagement et au dynamisme de médecins, d'infirmières et de paramédicaux motivés à répondre à cette demande.

Parmi les centres en activité, citons le centre de psychopathologie pour adolescents, la clinique du sein, le centre des malformations vasculaires congénitales, le centre de médecine du sport, le centre de toxicologie clinique, le centre de pathologie sexuelle masculine, le centre des cardiopathies congénitales de l'adulte, le centre de pathologie anorectale de l'enfant, enfin le centre du cancer.

Le centre du cancer mérite que nous nous attardions quelques instants à analyser sa structure et son concept.

En cancérologie, on peut mesurer la qualité des résultats de différentes façons:

- par le résultat lui-même, mais cette approche risque de prendre beaucoup de temps (plusieurs années parfois), ce qui est incompatible pour prendre des mesures correctrices.
- par un contrôle des processus. En veillant qu'à chaque étape, l'ensemble des processus soient correctement appliqués, et en combinant cette démarche à la tenue d'un registre très strict, on peut améliorer les résultats. Cette méthode a été confirmée par de sérieuses études qui ont montré que le respect strict de «guidelines» était essentiel. L'étude de Gillis et al dans le Lancet en 1991(3) est une étude parmi d'autres qui montre ce qui se passe sans approche raisonnée et systématique. Elle compare les cohortes de patients d'une dizaine de chirurgiens différents travaillant dans le même hôpital. Elle montre comment le résultat à moyen et long termes d'une chirurgie colorectale peut être influencée par le type de prise en charge: mortalité à 30 jours allant de 0 à 20%, survie à 10 ans de 20 à 63%, fréquence des lâchages anastomotiques de 0 à 25%…
- par le regroupement des structures spécifiques entre elles. Il y a plus de 15 ans déjà, Kramer (1984) a démontré l'importance de réunir les équipes au sein de structures de prise en charge spécifiques (par ex.: hôpitaux du cancer), notamment dans des cancers pédiatriques.

Procédures discutées et établies en concertation, structures d'accueil spécifiques, tenue d'un registre minutieux, tels sont quelques-uns des éléments de réussite. Par contre, la raréfaction des ressources plaide pour l'intégration des unités de taille moyenne au sein d'entités plus grandes pour optimaliser l'utilisation des ressources. Par ailleurs, les patients touchés par le cancer sont de plus en plus âgés et porteurs de pathologies variées qui doivent elles aussi être prises en charge de façon optimale, dans le cadre d'un hôpital aigu.

Pourquoi ne pas combiner les différentes contraintes? Une des solutions est de créer un "hôpital virtuel" pour le cancer, intégré dans l'hôpital général duquel il peut recevoir l'appui des technologies lourdes ainsi que la collaboration des spécialités non directement liées au cancer. On espère ainsi apporter aux patients des soins de qualité supérieure, tout en bénéficiant des structures lourdes de l'hôpital général.

À côté de ces structures transversales plus formalisées, se développe un concept de "fonctions transversalisées". Ainsi, depuis quelques années, le nombre d'infirmières "de référence" s'est constamment accru. Les domaines dans lesquels ces infirmières travaillent concernent des soins dont peut avoir besoin tout patient quelle que soit l'unité médicale ou chirurgicale, dans laquelle il est hospitalisé. Citons-en quelques-uns: la transfusion, les soins de plaies et d'escarres, le diabète, la douleur, les troubles de déglutition, les soins de stomathérapie, les soins palliatifs, la mucoviscidose, etc. Ces infirmières de référence créent un réseau très efficace fournissant, dans n'importe quelle unité de l'hôpital, les soins les plus appropriés aux patients, sans obliger chaque équipe à être hypercompétente en tout.

Exigences pour une réelle transversalité


La mise en place d'une telle transversalité exige, de la part des différents acteurs, une sérieuse remise en question.

L'engagement dans la transversalité présuppose une très forte culture de la qualité. Sans cet objectif déclaré, il est difficile de convaincre les médecins, les infirmières, les paramédicaux et les administratifs de collaborer à un travail d'équipe dans lequel ils vont, la plupart du temps, du moins au début, devoir faire un gros effort d'investissement personnel.

Travailler transversalement exige une attention toute tournée vers les autres. La dépendance des uns et des autres est très étroite. Chaque membre de l'équipe doit être ponctuel dans sa tâche, sous peine de décaler tout le processus. D'une certaine façon, on se "lie" aux autres.

Chaque intervenant doit pouvoir comprendre ce que fait son collègue et éventuellement l'aider à compléter un traitement ou un suivi. Cette discipline exige le développement de savoir-faire individuels et collectifs: chaque acteur intervient comme spécialiste d'une phase, mais doit également agir comme répondant de l'ensemble de la prise en charge et accepter les questions concernant tout le processus. À titre d'exemple, dans le centre d'algologie, il est commun que le psychiatre de l'équipe participe aux consultations de débrouillage, non seulement pour qu'il comprenne mieux le travail de ses collègues, mais également pour que le patient voie en lui un membre à part entière de l'équipe et pas seulement un spécialiste de l'aspect psychologique éventuel de sa douleur.

Quoique chacun doive faire un pas vers l'autre, il n'est nullement prévu que les rôles soient interchangeables. Seules les frontières entre les différentes compétences s'estompent afin que le patient ne soit pas victime de difficultés de communication.

Le mot est lâché : "communication". Une vraie transversalité ne peut se concevoir sans un langage commun. Cette idée peut paraître simpliste, mais il faut se rendre compte que dans l'hôpital, les bulles de pouvoir dont nous parlions plus haut ont toutes institué un mode relationnel spécifique dont le vocabulaire même peut être étanche aux autres. Marc Hees le rappelait récemment(4): «Le développement de métiers spécialisés entraîne chaque groupe professionnel à vouloir affirmer son identité professionnelle et à la faire reconnaître par les autres professionnels en construisant "sa" conception de la maladie, en développant "son" jargon pour en parler et en se donnant, du patient "sa" vision: une vision correspondant à son mode d'intervention et cohérente avec sa propre identité. Et que dire alors du patient. Ceux qui ont vécu, en tant que patients, une expérience d'hospitalisation savent qu'il convient de “changer de forme et de manière” selon le type de service et le type d'expert auxquels on a affaire. Le polymorphisme du patient est le contrepoint de la pluralité des regards spécialisés dont il fait l'objet.»

Il faut que tous se mettent d'accord sur les connaissances professionnelles distinctes à partager et sur la pertinence des questions et des décisions qui seront prises au sein du groupe. Il faut bien sûr placer la prise de décision le plus près d'un patient (avec lui chaque fois que c'est possible), mais encore faut-il savoir si c'est la "vraie" décision à prendre et si c'est la "bonne".

Cette volonté de réelle communication exige la mise en place d'un référentiel commun, basé non sur la technicité propre de chaque profession mais sur les événements qu'il faut affronter ou produire et, par voie de conséquence, sur les problèmes rencontrés. Relais de communication et réseaux d'alliés sont des éléments-clés de ce mode de travail.

L'adoption de la transversalité au sein d'un hôpital n'est pas un simple changement structurel. Il s'agit d'une modification profonde et essentielle du mode de fonctionnement des professionnels de l'hôpital. Ce changement ne peut donc se faire qu'avec beaucoup de temps, par la conviction entraînante de certains et l'exemple des entités qui fonctionnent bien. La difficulté à travailler ainsi est certainement plus grande pour les premières équipes. Ensuite, dès qu'un nombre critique d'entités est atteint, un mouvement d'entraînement s'installe qui transforme les "conservateurs" en retardataires.

La transversalité au sein d'une institution hospitalière requiert, contrairement à ce que l'on pourrait croire en première analyse, une direction générale très présente, garante de la définition des rôles de chacune des entités. D'une connaissance parfaite de l'interaction de ces pôles d'activités, dépend un fonctionnement général de l'hôpital qui soit harmonieux, évitant les redondances de prises en charge et une intégration aussi souple que possible avec les structures verticales. Ces dernières restent en effet indispensables pour l'organisation des gardes et de la coordination des soins au cours des nuits et des week-ends. En dehors des heures "ouvrables" (± 55 heures par semaine), il reste 113 heures de nuits et de fin de semaine à gérer!

En résumé, les conditions pour que la transversalité marche sont relativement nombreuses:

- confiance réelle et profonde avec mise en commun de l'information, avec comme corollaire, la transparence dans les processus de prise de décision avec confrontation systématique des analyses;
- maintien de la liberté de choix au sein des schèmes convenus, ce qui requiert une visibilité maximale de la stratégie et des processus choisis en consensus;
- respect d'un équilibre des structures de décision avec prise de responsabilité directe des intervenants proches du patient;
- dossier médical commun et registre systématique et complet des activités, condition sine qua non d'une recherche clinique de qualité qui reste un des objectifs de cette approche;
- partage d'une déontologie et d'une éthique solides.

Qualités exigées des différents acteurs:

- souplesse / art de la négociation / initiative / anticipation;
- adaptation aisée à des contextes précis mais variés; capacité à accepter que d'autres professionnels s'approprient certaines techniques;
- engagement important (supérieur à celui exigé dans les structures verticales);
- grande capacité à partager l'information et à adhérer à des processus décidés en commun;
- sérénité pour le coordonnateur dont le rôle est difficile; le bénéfice du succès reviendra en général au groupe mais c'est le coordonnateur qui sera interpellé en cas de difficultés.

Difficultés prévues


La transversalité ne résout pas tous les problèmes. C'est un mode de fonctionnement qui s'efforce d'optimaliser la prise en charge des patients tant au point de vue de la globalité du processus que de l'intégration efficiente des informations recueillies, pour le bien-être du patient mais également pour la recherche clinique.

Nous restons dans une modalité de fonctionnement difficile, exigeant des différents acteurs de modifier le comportement que le système "bureaucratique professionnel" de l'hôpital a cristallisé depuis des décennies. Même si l'on peut regretter qu'une conflictualité existe dans le cadre de soins à des malades, on ne peut que constater que l'organisation d'un hôpital doit y faire face. Comme dans toute organisation, il n' y a pas de solution miracle. La réflexion de Marc Hees(5) est tout à fait appropriée à la situation: "Le management se présente comme un façonnage de compromis, une "poièsis", une activité créatrice. Par la "matière" qu'il traite, il ne pourra jamais mettre en place un système de gouvernement de l'organisation qui se présenterait enfin comme "LE" bon système. Le management, comme la politique, est l'art du compromis qui rend la conflictualité supportable. Et ses oeuvres sont précaires.»

Les difficultés sont nombreuses :

- différentes modalités de fonctionnement transversal à imaginer selon les lieux (le secteur de l'hôpital) où l'activité se développe, les circonstances qui la justifient, les personnes et/ou les discours qui l'inspirent;
- risque de recréer de îlots autonomes et/ou de voir naître des filières de soins redondantes. On ne peut trop insister sur le rôle de la direction qui doit veiller à intégrer ces structures transversales aux structures verticales existantes;
- freins budgétaires, les modalités d'investissement et la comptabilité analytique n'étant pas nécessairement bien adaptés au concept de transversalité;
- freins liés à la gestion traditionnelle des "ressources humaines". Un exemple de difficulté: quid des plans de carrière des chefs de projets transversaux?
- intégration avec une législation basée, du moins en Belgique, sur les structures verticales traditionnelles (rôle légal central des chefs de service).

Évaluation


L'indice de satisfaction des patients pris en charge de façon intégrée et transversale est très bon. Est-ce lié à la motivation des équipes qui, spontanément, ont mis en place ces prises en charge transversales ? Quoi qu'il en soit, il est impérieux qu'une évaluation sérieuse soit faite de la valeur produite en termes de qualité des soins, de qualité de suivi, de rapidité de réponse (réduction des attentes sans valeur ajoutée), de la réduction des coûts ou du moins, de l'utilisation optimale des ressources.

Un récent éditorial du British Medical Journal (6) posait très justement la question de la réelle valeur ajoutée introduite par les nouveaux modes de fonctionnement transversaux. Une recherche appliquée à la transversalité doit être entreprise pour établir la balance coûts-bénéfices de ce mode de fonctionnement à l'hôpital. Doit-on réserver ce type d'approche à certains domaines, comment les groupes naissent-ils et surtout "meurent-ils"? Quel doit-être le rôle spécifique de la direction dans l'intégration de ces différentes structures? Comment maintenir l'enthousiasme des premières années? Les questions ne manquent pas.

L'avenir


Nous ne pourrons pas faire l'économie de ces questions et de ces discussions. Non seulement, la société et les patients nous y poussent mais un autre événement est là qui va dynamiser l'intégration de l'information (pas nécessairement la communication qui est un processus d'échange) au sein de l'hôpital. L'émergence de l'intranet, versant institutionnel de l'internet, va obliger les équipes à se mettre d'accord sur certains protocoles.

On peut imaginer que sur l'intranet de l'hôpital, on puisse retrouver les différents protocoles de soins, par exemple. Il est difficile d'imaginer qu'il y ait, pour un même hôpital, plusieurs protocoles de trachéotomie, par exemple, même si actuellement, il n'est pas rare que les services d'ORL et de stomatologie aient des protocoles différents. Ce qui change avec l'intranet, c'est la visibilité et donc l'obligation, pour la direction médicale de veiller à la cohérence des informations et des directives mises à disposition des membres de l'institution. Cette nécessité de cohérence peut être un levier très efficace pour pousser les différents services à définir, par consensus, les plans de soins adoptés dans l'hôpital. C'est aussi l'occasion d'adopter un métadictionnaire ce qui, en principe, devrait faciliter la communication des différents corps professionnels entre eux.

Conclusion


La transversalité est une réponse à la demande des patients et de la société de voir la qualité au centre des préoccupations des institutions de soins. Ils souhaitent que les soins soient appropriés et délivrés avec un maximum d'efficience. Par ailleurs, l'approche transversale offre, par le biais du dossier médical et du registre communs, les conditions pour une recherche clinique efficace, au sein de laquelle chaque acteur se reconnaisse comme participant intégré.

Cette démarche vers la transversalité est un processus difficile qui exige de grandes qualités professionnelles et humaines. Ce changement ne peut donc se faire dans la précipitation, ni être imposé par ukase, même si, à certaines étapes du processus, il est important que la direction se positionne clairement par rapport aux valeurs de référence que ce mode de fonctionnement exige.

Aux Cliniques Universitaires Saint-Luc, ce processus s'est enclenché progressivement au cours des dix dernières années sous l'impulsion d'équipes qui en ont ressenti le besoin. Ces projets se sont développés autour d'équipes dont les membres s'estiment, se respectent et ont accepté une reconversion comportementale centrée sur l'ouverture aux autres, la transparence et la confiance, le tout cimenté par un objectif commun: mettre à disposition du patient les soins les plus efficaces possibles dans un respect maximal de la personne malade.

Notes


1. Mintzberg H.: Mintzberg on management. Inside our strange world of organizations. Free Press, New-York, 1989.

2. Mme de Singly, Hôpital Laennec: Communication à la Journée des Sciences Hospitalières, Bruxelles - mars 2000.

3. Gillis C et al.: Outcome of colo-rectal surgery in function of the surgeon (n=13) at the Royal Infirmary (Glasgow) in 645 consecutive patients. Lancet 1991, 337: 661.

4. Hees Marc: Le management: science, art, magie? Pour un retour à la parole des "managés". Seli arslan, Paris, 2000, 147.

5. Hees Marc: Des dieux, des héros et des managers. Ou de quelques malentendus. Éditions Labor, Bruxelles, 1999, 47.

6. Zwarnstein M, Reeves S.: What so great about collaboration. B.M.J. 320:1022-23, 2000.

7. Scholtes J.L.: Transversalité, interdisciplinarité et filières de soins.Perspective Soignante 9:52-66, 2000.

Source : Hospitals.be