"étude des relations PSFA (patient/soignant/famille/autre aidant) en centre hospitalier"

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#1 18-12-2006 19:04:00

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De l'hôpital connecté au patient connecté

- Réunion de Club Sénat du 7 novembre 2006 -

Petit-déjeuner organisé autour de Mme le Sénateur Marie-Thérèse Hermange aux salons de la Présidence du Sénat

"De l'hôpital connecté au patient connecté : le système de santé en pleine transformation "

en présence de :

- Jacques SAURET, Directeur du Groupement d'intérêt professionnel Dossier médical personnalisé, Ministère de la Santé : enjeux et perspectives du « dossier médical partagé »
- Docteur Arnaud HANSSK, chef de Service Département d'Information Médicale - Directeur des Systèmes d'Informations - Responsable TIC Nouvel Hôpital, Hôpital d'Arras : l'hôpital connecté du 3e millénaire, une référence française et désormais mondiale
- Professeur Dominique VADROT, chef du service de radiologie à l'Hôtel Dieu

animé par : Pascal BOULARD, journaliste à La Tribune

Reprise de l’intégralité des interventions effectuées lors de ce petit déjeuner

Mme le Sénateur Marie-Thérèse Hermange

Je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation du Président du Sénat. En tant qu’ancienne présidente du Conseil d’administration de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, j’ai été invitée à présider ce petit-déjeuner. Nous tenterons aujourd’hui de répondre à la question suivante : « Comment le secteur de la santé peut-il profiter des avancées technologiques actuelles, tout en respectant ce qui fonde l’hôpital,c'est-à-dire l’homme, qu’il s’agisse du médecin, de l’infirmière ou du patient ? ».

Vieillissement de la population, exigences d’excellence et d’économie, judiciarisation de la médecine : nos systèmes de santé sont confrontés à une nouvelle donne qui déstabilise l’offre de soins actuelle. Cette situation requiert une rationalisation de la consommation médicale, des solutions alternatives à la consultation traditionnelle. Le défi n’est pas mince : il s’agit d’économiser le temps des médecins spécialisés, tout en réduisant le nombre des erreurs médicales, et de développer une forme de virtualisation de la consultation, tout en gardant la proximité avec le patient. La technologie est prête mais nos esprits le sont-ils ? A quelles conditions ?

M.Pascal Boulard va à présent nous présenter les trois intervenants.

M. Pascal Boulard, journaliste à La Tribune

En tant que journaliste à La Tribune, je m’intéresse aux nouvelles technologies de l’information, et plus particulièrement à leur utilisation par les entreprises et les organismes publics.

Le premier des intervenants pour ce petit déjeuner est le Docteur Arnaud Hanssk, chef du Service Département d'Information Médicale - Directeur des Systèmes d'Informations - Responsable TIC Nouvel Hôpital, à l’hôpital d’Arras (Pas-de-Calais). Cet établissement est en quelque sorte l’hôpital du futur. Le deuxième intervenant est Jacques Sauret, Directeur du Groupement d’intérêt professionnel Dossier médical personnel au Ministère de la Santé. Il nous présentera les enjeux et perspectives du « dossier médical partagé ». Enfin, nous écouterons le Professeur Dominique Vadrot, chef du service de radiologie à l’Hôtel Dieu, à Paris.

Docteur Arnaud HANSSK

Je voudrais tout d’abord rebondir sur ce qui a été dit. Nous sommes en effet à l’aube de changements importants. Dans ce contexte, il serait dommage de ne pas mettre à profit les nouvelles technologies afin de réaliser des nouvelles missions et de nourrir de nouvelles ambitions pour le secteur de la santé et, à plus grande échelle, la France.

Plutôt que sur le fonctionnement du réseau, j’insisterai sur les valeurs, les missions et la philosophie qui le fondent. Ma préoccupation porte sur la façon d’améliorer la vie des personnels de santé et des patients. Médecin de formation, j’ai été chef de service des urgences. A présent, je me consacre uniquement au système d’information au sein de mon hôpital. L’enjeu est de définir une vision médicale de l’utilisation de nouvelles technologies. Notre objectif est de changer le Système d’Information Hospitalier (SIH) en un système d’information de santé, dans le but de décloisonner les établissements. Les nouvelles technologies de l’information ne sont pas une fin en soi mais simplement une opportunité à saisir. L’idée est de transformer les ressources d’Internet en outils de santé utilisables et, surtout, simples. Il n’est pas utile de transformer les praticiens en spécialistes des nouvelles technologies. Ces outils doivent nous aider à être plus réactifs, plus vifs. C’est ce que nous avons essayé de faire à Arras.

Mme leSénateur a clairement présenté les défis :

* Le problème du financement

Une augmentation du budget favorisant le développement du système d’information permettrait de dégager des gains de productivité.

* Un souci de qualité

Ils’agit de travailler plus vite mais mieux en débarrassant la communication au sein de l’hôpital des entraves liées aux différentes sphères de pouvoir qui y cohabitent.

* Une exigence de sécurité

Le système d’information ne doit jamais tomber en panne, au risque d’un retour au traditionnel « papier-crayon »).

* Un besoin de mobilité

A tout moment et en tout lieu, tout personnel doit pouvoir accéder à l’information et l’enrichir.

Cette évolution doit s’effectuer en partenariat avec tous ceux qui utiliseront ces nouveaux outils, afin de nous assurer qu’ils sauront s’en servir. La formation est essentielle car nous sommes tous inégaux devant l’informatique. Il est donc normal d’adapter individuellement le temps de formation de la façon la moins pénalisante possible. C’est ce que nous avons mis en place à l’hôpital d’Arras avec des formateurs qui sont à la fois compétents en informatique et soignants. En quatre ans, ils ont dispensé plus de 3 700 sessions d’information.

Mon exposé d’aujourd’hui s’appuie sur une expérience réalisée entre 1995 et 2000 à Montreuil-sur-Mer(Pas-de-Calais). Nous y avons tout d’abord construit en dix-huit mois un petit établissement de 800 lits et de 1 000 agents, en repensant informatique et architecture. L’hôpital qui en résulte est plus petit (-20 % de lits), avec un peu moins de personnel en raison des quelques millions de francs qu’il a coûtés. Aujourd’hui, il réalise 30 % d’activité en plus, avec un SIH qui communique avec l’extérieur de la ville et un réseau ville-hôpital efficace, et surtout un bilan macroéconomique à peine supérieur à celui des cliniques privées.

La mission que le directeur de l’hôpital d’Arras m’a confiée consistait à adapter l’expérience de Montreuil-sur-Mer et de confirmer qu’il ne s’agissait pas d’un coup de chance. Depuis 2001, au centre hospitalier d’Arras, nous avons rénové le système d’information, reconstruit un hôpital psychiatrique de 100 lits afin de tester notre rapidité et mis en place la construction du nouvel hôpital dans le cadre du plan Hôpital 2007. En quarante mois, nous avons obtenu un dossier informatisé fonctionnel et partagé par les 1 200 PC de l’hôpital; l’établissement est complètement équipéen wifi (Internet sans fil), 70 tablettes PC permettent le nomadisme ; nous avons mis en place des technologies très innovantes, de type dictée numérique. Il ne s’agit pas de reconnaissance vocale mais de numérisation des cassettes. Ce dispositif a permis de faire passer le délai de réponse au courrier de deux mois à deux jours.

Nous ne nous sommes pas arrêtés là. Nous avons constaté qu’une infirmière ne dispose que de huit minutes par patient; que le personnel soignant consacrait 40 % de ses tâches à la coordination (téléphoner, remplir des papiers, des agendas informatiques) et que, dans certains cas, des secrétaires pouvaient passer plus de quatre heures par semaine à rechercher un dossier (plus de 80 secrétaires travaillent à l’hôpital d’Arras). Nous souhaitons informatiser tout ce qui peut l’être afin de permettre au personnel de s’occuper plus des patients.

L’hôpital d’Arras sera ouvert début février 2007.L’environnement n’a pas été oublié au profit de la technologie puisque l’établissement sera classé « haute qualité environnementale »(peintures hypoallergéniques, double isolation…). Aujourd’hui, plus de 100 médecins à Arras peuvent se connecter en temps réel sur le réseau de l’hôpital. L’équipement Internet généralisé permet une économie de maintenance et de mutualisation. Quand les malades appellent de leur chambre, ils sont immédiatement en liaison avec le téléphone mobile de l’infirmière, ce qui améliore la qualité d’écoute. Nous disposons d’une plateforme logistique assistée par des AGV(automatic guided vehicles), ces robots qui distribuent le matériel. Chaque patient aura accès à un terminal multimédia, ce qui évitera les éventuels conflits autour de la télévision, mais aussi lui permettra de s’informer sur les actes qu’il va subir. En ce qui concerne l’emploi, nous avons établi des partenariats forts, avec notamment la société régionale NCS, qui est notre intégrateur, Siemens et Cisco. La plus-value générée par l’hôpital est utilisée en collaboration avec des start-up et des laboratoires du CNRS.

En conclusion, deux grands dangers menacent aujourd’hui l’hôpital : le papier et le crayon. L’un parce qu’il n’est pas partageable, l’autre parce qu’une écriture n’est pas toujours lisible. Il faut donc dématérialiser, structurer l’information. Il reste toutefois plusieurs problèmes à résoudre, à commencer par la loi : comment, par exemple, partager la lettre d’un médecin traitant ? Même si je la scanne, aucune législation ne m’indique comment la conserver. Il nous faut un texte nous permettant d’organiser l’archivage afin de mieux partager l’information.

Nous avons eu également des problèmes au niveau des appels d’offre : nous avons souvent choisi le mieux disant, qui n’était pas le moins disant. Des recours ont été intentés. Le receveur de l’établissement nous a signalé que la notion de retour sur investissement, à laquelle nous avons eu recours pour faire nos choix, n’était pas légale. Les explications et négociations nous ont fait perdre beaucoup de temps. Nous avons pu prouver par la suite qu’un an suffisait à rembourser l’investissement mis dans les outils. Aujourd’hui, nous avons externalisé desactivités et nous visons le transfert de compétences. Nous avons aussi besoin de niveaux d’infrastructures très élevés : transférer une IRM (700 Mo) nécessite une demi-heure. A Arras, nous disposons d’une boucle numérique qui permet d’effectuer de tels téléchargements en quelques secondes. Autre problème, les entreprises ne sont pas prêtes et ne croient pas au réseauIP et à la convergence. Enfin, les expériences réalisées dans les différents établissements ne sont pas thésaurisées, ce qui conduit ceux qui se lancent à tout réinventer depuis le début et à perdre du temps.

M. Pascal Boulard

Je passe la parole à M. Jacques Sauret. Son exposé sera consacré aux enjeux et perspectives du dossier médical personnalisé.

M. Jacques SAURET, Directeur du Groupement d’intérêt professionnel Dossier médical personnel au Ministère de la Santé

J’évoquerai en préambule la tendance actuelle à l’hyperspécialisation des médecins, qui induit un enchaînement des soins pour le patient au lieu de la traditionnelle prise en charge générale du médecin de famille ou de l’hôpital. Ensuite, le vieillissement de la population fait augmenter le nombre de polypathologies et par conséquent le nombre d’interventions de spécialités différentes sur un même patient. Enfin, la judiciarisation des relations entre les patients et les professionnels de santé a fait évoluer les esprits. On n’attend plus seulement de nous une obligation de moyens mais une obligation de résultats. Ceci nous impose un travail en réseau. Cette nécessité est rendue possible, dans le même temps, par l’évolution des techniques.

Ainsi,dans tous les pays développés se créent des projets de structuration des échanges de toute nature entre professionnels de santé. Le symbole de ces projets est l’Electronic Health Record (EHR), l’équivalent du dossier médical personnel (ex-dossier médical partagé) en France. Derrière lui, de nombreux autres projets, moins médiatisés mais tout aussi essentiels, se mettent enplace.

Contrairement à la plupart de nos voisins européens, nous travaillons sur un dossier médical du patient et non pas un dossier médical à la disposition de l’ensemble des professionnels de santé. C’est là le distinguo introduit par le législateur entre dossier médical « partagé » et « personnel ».

Les outils de travail des professionnels de santé se classent en trois catégories

* Le logiciel utilisé au quotidien

C’est le dossier que ces professionnels utilisent quels que soient leurs patients.

* Les dossiers de partage à destination professionnelle (réseau de soins, ville-hôpital, cancérologie, obésité…)

Ils servent à améliorer la prise en charge des patients pour certaines pathologies.

* Le dossier médical personnel

Créé par la loi, il vise à coordonner les soins, sous le contrôle total du patient, à la différence des deux précédents, qui sont à visée professionnelle. Le patient doit indiquer quels sont les professionnels qu’il autorise à accéder à son dossier et à le renseigner.

Le Groupement d’intérêt professionnel Dossier médical personnel a pour but de faire coexister de façon harmonieuse ces trois types de dossiers.

Les piliers de la mise en œuvre du Dossier Médical Personnel(DMP) en France sont le pragmatisme, l’évolutivité, la simplicité d’usage, l’utilité, le faible coût pour les acteurs et la sécurité. Le projet anglais, qui coûtera 18 à 20 milliards d’euros, vise à refonder en une seule fois l’ensemble des systèmes d’information hospitaliers, des médecins libéraux, de l’équivalent britannique de notre assurance-maladie et de l’Etat. Il est à l’arrêt aujourd’hui, les professionnels de santé s’opposant à ce qui est devenu un projet d’informaticiens.

En outre, le système imaginé n’est plus compatible avec l’actuelle stratégie du NHS (National Health Service). Le projet français, pragmatique, capitalisera les expériences déjà existantes, comme la carte Vitale ou l’hôpital d’Arras. Du point de vue de l’évolutivité, le DMP vise à développer des infrastructures permettant des échanges. Ces infrastructures doivent pouvoir évoluer afin de répondre aux besoins de façon locale ou nationale. Les médecins s’opposent à une double-saisie. Ils estiment qu’elle ferait augmenter la durée des consultations de 15 %, ce qui ferait diminuer d’autant leur pouvoir d’achat. Il faut donc un système simple, basé sur la pratique professionnelle.

Pour que le DMP soit utilisé, il doit également être utile. Ainsi, dès juillet 2007, nous ferons en sorte que l’ensemble des analyses biologiques soient directement transférées au DMP, afin d’éviter aux médecins de longues ouvertures de courrier. De même, le dossier pharmaceutique, qui recueillera l’ensemble des médicaments délivrés, après accord du patient, sera transmis à son DMP. Les comptes-rendus d’hospitalisation et lettres de sortie seront également inscrits dans le DMP, dès juillet 2007 pour les CHU et fin 2007, pour tous les autres établissements de santé. Nous sommes actuellement en discussion avec les professionnels de l’imagerie.

Le coût du projet français s’élève à un peu plus d’un milliard d’euros sur cinq ans. Nous y avons intégré le coût de l’évolution des logiciels des professionnels de santé et celui des mises à jour des systèmes d’information hospitaliers. Le délai de retour sur investissement est de trois à quatre ans. L’exemple d’Arras nous l’a montré : les systèmes d’information bien gérés permettent de faire des gains de productivité et des économies. Enfin, le DMP ne peut fonctionner que dans un contexte de confiance, en particulier à propos des conditions d’accès aux informations. Des impacts sont à prévoir sur la carte de professionnel de santé à l’hôpital, sur la gestion des habilitations, sur les droits des patients mineurs ou sous tutelle…

Trois facteurs favoriseront l’adoption du DMP. L’identifiant du patient sera l’un d’eux. La CNIL (Commission Nationale Informatique et Libertés), que j’ai saisie en juillet, m’a répondu la veille de ce petit-déjeuner qu’elle était favorable à ce que le numéro de Sécurité sociale soit utilisé pour certifier les identifiants mais pas comme identifiant. Elle a mis en place un groupe de travail pour y réfléchir d’ici à la fin de l’année. Les normes, établies si possible avec nos voisins européens, seront également indispensables. La demande émane des professionnels de santé, des industriels et des patients. Des progrès interviendront sur ces questions dans les prochains mois. Le dernier facteur de succès, primordial, sera l’utilisation médicalisée des logiciels. Aujourd’hui, si 80 à 85 % des médecins libéraux sont informatisés, seuls environ 15 % d’entre eux utilisent leurs logiciels à des fins médicales. Notre sujet ne se limite donc pas au DMP. Peut-on considérer qu’un médecin qui n’a pas recours aux outils informatiques en 2006 est au mieux de ses compétences ? Il faut savoir que l’esprit humain ne peut pas gérer plus de trois interactions médicamenteuses et une étude indique que 7 % des ordonnances sont dangereuses.

Des questions restent en suspens : la responsabilité médicale, le masquage-masqué…

M. Pascal Boulard

Je passe la parole au Professeur Vadrot.

Pr Dominique VADROT, chef du service de radiologie à l’Hôtel Dieu

En 2001, nous avons eu l’accord de la CNIL pour utiliser un système que nous appelions « coffre-fort électronique du patient », qui préfigurait le DMP. Nous avons ainsi l’expérience de quelques milliers de dossiers.

Il me semble tout d’abord important de souligner que le DMP participe d’un raisonnement nouveau à faire comprendre aux professionnels comme au patient : le DMP appartient au patient et non aux professionnels de santé. Il permet à ces derniers de communiquer « en étoile » et d’avoir accès aux informations de là où ils sont. Deuxièmement, le DMP n’est jamais qu’un produit internet, qui s’inscrit dans une évolution des produits de santé. On est vacciné ou non, on a un DMP ou non. La réflexion se situe au même niveau. Troisièmement, la confidentialité est un impératif. En pratique, avec notre « coffre-fort électronique », le problème ne s’est jamais posé.

Je voudrais maintenant vous livrer le fruit de notre expérience.

Le DMP peut être utilisé de quatre manières différentes. D’abord, le DMP revêt un aspect purement administratif : il indique les conditions d’exercice du professionnel de santé et de prise en charge et de remboursement du patient. Je donne un exemple : l’ostéodensitométrie est remboursable depuis cet été pour les femmes, sous certaines conditions d’âge et d’antécédents médicaux. Dans la pratique, il est difficile de savoir si les patientes que nous recevons remplissent ces conditions. Le DMP pallie ce défaut d’information. Ensuite, le DMP permet aux professionnels de santé d’archiver durablement les informations qu’ils ont produites. Le bénéfice pour le patient et la collectivité est une diminution des redondances et des actes inutiles et du danger. Puis, le DMP aide au parcours de soins. Contrairement aux deux caractéristiques précédentes, celle-ci est« agressive », dans la mesure où l’outil va donner des conseils au médecin comme au patient, intervenant sur la pratique des soins. Enfin, le DMP assiste le parcours de santé du patient. La prévention, le dépistage et l’éducation sanitaire pourront être personnalisés, à condition que le DMP soit structuré. Cette caractéristique est également « agressive », en soulignant notamment l’inégalité des patients devant la santé.

Voici maintenant les quatre étapes de l’utilisation du DMP. La première est la possibilité d’accès. Il faut un équipement adéquat. Il y a trois ou quatre ans, France Télécom indiquait que 75 % des médecins étaient abonnés à l’ADSL mais que leur usage n’était que familial. En outre, tous les systèmes complexes de reconnaissance sont des limitations à cet accès. Le patient n’aura en effet pas de lecteur de carte électronique. La deuxième étape est la possibilité de trouver des informations intéressantes dès la première fois qu’on se connecte sur un DMP, de façon à fidéliser les patients et les professionnels de santé. Il est possible de commencer avec les analyses biologiques et l’imagerie médicale, en raison des facilités techniques et du nombre restreint de praticiens. La troisième étape, qui sera longue, est l’incitation à l’enregistrement.

Il existe en France deux types de professions médicales : celles qui sont obligées de signer des comptes-rendus ou des actes pour être payées et celles qui n’ont pas l’habitude d’engager leur responsabilité sur un texte. Il faudra laisser à ces derniers le temps de s’habituer au DMP. La quatrième et dernière étape est l’incitation à l’organisation qui, elle aussi, est « agressive ». Aujourd’hui, nous avons toutes les excuses de ne pas être organisés. Avec le DMP, le laxisme ne sera plus très tolérable.

Mme le Sénateur Marie-Thérèse Hermange

LeProfesseur Jacques Caen, ici présent, est le Président de la Fondation franco-chinoise pour la science et ses applications. La Chine, à l’instar du Brésil, est-elle un modèle en la matière ?

Pr Jacques CAEN

Je l’ignore, Madame, mais j’ai trois questions. Je m’interroge d’abord sur la façon dont on enseignera aux jeunes enfants français les évolutions informatiques du monde médical. Ensuite, nous n’avons pas parlé que ce que l’homme malade ressent dans ce nouveau contexte. Enfin, sachant de par mon expérience que les gens les mieux soignés sont les mieux éduqués, je voudrais savoir comment vont évoluer les inégalités devant les soins.

M. Pascal Boulard

Y a-t-il d’autres questions ?

De la salle

A propos de la gestion des parcours de santé, vais-je, en tant que patiente, avoir accès à de l’autodiagnostic ?

Pr Dominique VADROT

Pour rebondir sur ce que vient de dire le Pr Caen et pour répondre à votre question, je voudrais rappeler qu’avant, le monde était divisé entre les gens alphabétisés et les autres. Maintenant, la division se fait sur la connaissance ou non de l’outil informatique. M. Caen, vous avez raison de souligner qu’un diabétique instruit a plus de chance de survie qu’un diabétique qui ne l’est pas. Madame, en fonction de votre instruction et de votre volonté, vous disposez d’une capacité d’automédication, de prévention, de dépistage et d’éducation sanitaire. Mon expérience m’a montré que ces notions sont particulièrement« agressives ». C’est pour cela que j’indique qu’on ne peut aborder ce point que quand tous les autres sont réglés.

Dr Arnaud HANSSK

Actuellement, 2 000 enfants passent chaque année par l’hôpital d’Arras. Nous avons un budget pour qu’une institutrice s’occupe d’eux. Notre projet est de connecter chaque enfant à son école une demi-heure par jour. Le message ira dans les deux sens : nous pourrons commencer à éduquer les enfants.

En ce qui concerne l’aspect humain, notre objectif est de faire passer les infirmières de huit minutes de présence par patient à seize.

Ensuite, les terminaux multimédias permettront de diffuser des films médicaux d’éducation gratuits. Nous avons également négocié avec la société qui nous loue ces outils un lot d’abonnements gratuits pour les familles défavorisées, afin que le niveau social ne soit pas discriminant. Les films d’éducation seront aussi disponibles via Internet à tous ceux qui en auront besoin car partager la connaissance, c’est la faire grandir.

Mme le Sénateur Marie-Thérèse Hermange

M.Francis Giraud souhaite intervenir.

M. le Sénateur FrancisGIRAUD

Le Pr Caen a posé les bonnes questions. Il faut que les enfants soient éduqués en la matière dès le plus jeune âge. Je reconnais que la phase de transition sera difficile.

Vous avez dit, M. Vadrot, que les médecins s’engagent sur leurs résultats. J’estime que l’inscription des prescriptions dans le DMP peut contribuer à faire évoluer la prévention.

M.Sauret a évoqué l’exemple du Royaume-Uni. N’ya-t-il pas d’expériences dans d’autres pays européens, comme la Norvège ?

M. Jacques SAURET

Le Danemark est en avance mais travaille sur un système différent (comme en Israël et aux Pays-Bas), où le DMP va chercher l’information auprès du professionnel de santé. Dans un établissement de santé, la disponibilité des informations est, en principe, garantie. En revanche, si un médecin libéral éteint son ordinateur, l’information n’est plus disponible. Nous avons estimé qu’il était délicat de demander aux médecins libéraux de garantir cette disponibilité.

Il existe ainsi, au niveau international, deux types de systèmes d’information : la centralisation, ou l’indexation avec renvoi.

Le système andalou, qui fonctionne depuis trois ans, permet de réaliser 80 millions d’euros par an sur les interactions médicamenteuses, aspect sur lequel il est particulièrement exigeant.

Les Etats-Unis ont, en général, des systèmes centrés sur les hôpitaux (d’importants dispositifs auxquels accèdent des acteurs extérieurs). En France, la régionalisation ne serait pas pertinente. Par exemple, les centres hospitaliers spécialisés dans la lutte contre le cancer accueillent 20 à 30 % de patients venant d’autres régions.

En Italie, la Lombardie vient de lancer son projet. L’Australie vient d’arrêter le sien. En Allemagne, l’idée se limite à l’insertion d’informations d’urgence sur une carte, ce que la France a fait il y a une dizaine d’années avec Sesam-Vitale. Le problème de la perte de la carte se résout par la création du DMP.

La France est partie en même temps que les autres pays au niveau de la décision politique mais je crois qu’elle a, comme pour Sesam-Vitale, un train d’avance.

De la salle

Je voudrais vous parler d’une situation concrète. Une personne qui m’est proche s’est cassé le col du fémur dans un accident de voiture, à Marseille, loin de chez elle. Radios, examens : il a fallu tout recommencer. Est-ce que le système que vous décrivez permettra de pallier ces défauts dans les situations d’urgence ?

M. Jacques SAURET

C’est l’un des objectifs essentiels du DMP : quel que soit le lieu de la prise en charge, le professionnel de santé peut avoir accès aux informations rentrées par ses collègues. Le Sénat devrait être saisi d’un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale, permettant qu’en cas d’urgence, sauf opposition préalable, le Samu puisse accéder aux informations du DMP si le patient est inconscient.

M. Pascal Boulard

M.Emmanuel Hirsch, du département Ethique médicale de l’Assistance Publique, est parmi nous. Avez-vous des réflexions sur le sujet ?

M. Emmanuel HIRSCH

Je suis quelque peu surpris par le nom choisi pour le dossier médical personnel, ou personnalisé. Par nature, un dossier médical est personnel. Cette redondance sémantique est pour moi suspecte.

M. Jacques SAURET

C’est à destination des nombreuses personnes non-éduquées…

M. Emmanuel Hirsch

Cela dénote un certain état d’esprit. Mais je ne veux pas critiquer…

Mme le Sénateur Marie-Thérèse Hermange

Le terme de « carnet de santé » serait-il donc devenu ringard ? Nous sommes en train de réinventer, de manière informatisée, ce carnet de santé qu’on nous a envoyé individuellement il y a dix ans, que nous avons mis à la poubelle, et dont personne ne s’est occupé.

M. Emmanuel Hirsch

Quand nous avons travaillé pour l’ANAES (Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé) au moment de la loi du 4 mars 2002 sur les droits du malade, nous avions préconisé le dossier médical « partagé ». « Personnalisé » signifie que les personnes peuvent accéder à des données qui les concernent, voire ajouter des informations subjectives, par exemple sur le vécu de la maladie. La question que nous nous posions était de savoir comment contrôler la validité des informations cumulées. Je prends l’exemple des maladies génétiques : allons-nous, pour des raisons de santé publique ou pour protéger les proches, consulter des dossiers à l’insu d’un tiers ? Le droit au masquage d’informations, par exemple pour les séropositifs qui préfèrent que seul leur médecin traitant soit informé de leur état, entraîne des interrogations et des discriminations. Toutes ces questions accentuent les précarités. Quels que soient les moyens de contrôle légaux, je ne suis pas certain que les assureurs n’auront pas accès au DMP. J’ai trouvé votre discours très rationnel mais il y manque l’anticipation sur la maîtrise des nouveaux instruments.

M. Jacques SAURET

Je ne suis pas d’accord. Tout d’abord, on dit « dossier médical personnel » et non « personnalisé »,ce dernier mot étant peu signifiant. Je rappelle que c’est le législateur qui a changé le mot « partagé »en « personnel ». Le « dossier médical partagé » exprime le point de vue du professionnel de santé. Le « dossier médical personnel » contient des informations émanant du patient, qu’il met à la disposition des professionnels de santé appelés à le soigner. J’estime que l’évolution sémantique apportée par le législateur est riche de sens. Effectivement, le DMP est un carnet de santé. Cependant, la posture du législateur est intéressante dans la mesure où elle fait passer la réflexion d’un point de vue centré sur les médecins à un point de vue centré sur les patients.

En ce qui concerne les assurances, le législateur a indiqué que, même avec l’accord du patient, toute personne qui accéderait ou tenterait d’accéder au DMP seraitpassible d’une peine d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende, même avec l’accord du patient. La CNIL demande régulièrement que la possibilité d’abus de faiblesse soit prise en compte.

La loi du 4 mars 2002 ne prévoit pas la recherche épidémiologique. Elle reste encadrée par un titre de la loi de 1978 et la loi de 1951 sur les statistiques. Pour l’instant, les professionnels de santé et les associations de patients sont partisans de commencer par mettre en place le dispositif avant de chercher un accord. En ce qui concerne la génétique, le dossier est détenu, géré et contrôlé par le patient. Il n’est pas possible d’y mettre des informations sur sa famille.

De la salle

On peut quand même indiquer les antécédents cardiologiques…

M. Jacques SAURET

Oui, mais il s’agit des antécédents familiaux et non d’indications individuelles concernant une personne tierce. Ceci dit, je ne suis pas naïf. Le DMP est une infrastructure et non une finalité. C’est au corps social, aux professionnels desanté, à la représentation nationale… d’indiquer les règles du jeu, plutôt que de pratiquer une politique de l’autruche, alors qu’il existe, par exemple des sites Internet permettant d’obtenir un autodiagnostic.

Pr Dominique VADROT

Certains patients viennent nous demander une copie de leur dossier demandée par leur assureur. J’ai le sentiment que l’introduction du DMP va mettre en exergue ces pratiques qui existent déjà. Il existe en gros trois sortes de patients : ceux dont la pathologie ne nécessite pas de connaître le passé, ceux qui amènent aux professionnels de santé une quantité de documents désordonnés et ceux qui ont un lourd passé mais aucun document. Pour moi, le DMP permet vraiment d’avancer dans ce domaine.

Laurent CARON, avocat

Est-ce que l’hôpital d’Arras a subi un audit de la part de l’HAS ? Etes-vous hébergeur de vos données de santé ? Pensez-vous qu’il faille modifier la réglementation sur le sujet ?

Dr Arnaud HANSSK

La Haute Autorité de Santé (HAS) est venue à Arras il y aun an pour observer la gestion des systèmes d’information. Les observateurs ont relevé deux points forts : la traçabilité de toutes les actions des professionnels grâce à leur login et leur mot de passe sur des supports non modifiables et l’absence d’intrusion sur le système wifi malgré des tentatives.

Nous sommes effectivement hébergeurs de notre base de données. Mais devons-nous enrichir nos informations avec des éléments venus de l’extérieur ? Quand on envisage de scanner les lettres des médecins traitants, nous atteignons les limites du système s’il s’agit d’un courrier correspondant à un séjour ailleurs que chez nous. Actuellement, à l’hôpital Arras, seuls le directeur et moi-même sommes engagés sur la qualité des informations et les règles d’introduction dans la base de données. J’estime que le décret hébergeur est important parce qu’il responsabilise ceux qui ne sont pas du sérail. Il faut créer la confiance, sinon le système ne sera pas alimenté.

Mme le Sénateur Marie-Thérèse HERMANGE

Pour conclure ce petit-déjeuner, je souhaite revenir sur l’exemple de l’hôpital d’Arras. L’exemple du chariot-robot m’a frappée. La semaine dernière, à l’hôpital Cochin, j’ai croisé une personne qui poussait un chariot et qui devait le faire toute la journée. Lorsque nous imaginons des hôpitaux immenses, il faut penser à tout ce que cela induit : les emplois, le côté humain…

Quand le DMP a été porté à l’attention du Sénat, nous avons interpellé le Ministre de la Santé sur le fait que la plupart des services hospitaliers ne sont pas informatisés. Comment, dès lors, mettre en place un DMP viable et stable ? A travers l’exemple d’Arras, je constate que le problème a été résolu en pensant le nouvel hôpital du triple point de vue architectural, informatique et humain.

Nous, Sénateurs, avons voté la loi instituant le DMP; la population en attend quelque chose sans savoir exactement quoi, en se demandant si le carnet de santé n’était pas aussi simple. Nous ne voudrions pas que le DMP ne soit qu’un outil intellectuel qui ne trouve pas sa concrétisation. Nous veillerons à éviter cet écueil.

Ce système soulève un certain nombre de questions : celle de la confidentialité, qui peut être levée, celle d’une collectivisation de l’hôpital, celle de la précarité, faire en sorte que le patient ne soit pas « un dossier » mais un homme. Il y va aussi de la pertinence du rôle du médecin et de l’infirmière.

Source : Club Sénat


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